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Je pense donc Je suis
13 avril 2013

Corée du Nord: arrêtons de crier "au feu"

rtbf.be info  vendredi 12 avril 2013
Christophe Bastin

Christophe Bastin

Au moment où John Kerry, le secrétaire d’État américain, arrive à Séoul, l'opinion de Christophe Bastin, un Belge, professeur en Corée du Sud. Une manière de mieux percevoir comment la tension actuelle est perçue dans un des pays les plus directement concernés.

La Corée du Nord menace d’une "guerre totale", elle promet une "mer de feu", les gouvernements "pantins" de Corée du Sud et des Etats-Unis n’auront que ce qu’ils méritent. L’homme de la rue en Corée du Sud est habitué à ce genre de déclarations explosives venant du nord, et cela fait longtemps qu’il n’y prête plus attention. Alors pourquoi donc la communauté internationale s’alarme-t-elle tant ?

Une partie de poker

L’image d’un dirigeant nord-coréen complètement fou, seul responsable de l’escalade des tensions et provocant continuellement la communauté internationale ne résiste pas à l’analyse. Voir l’ensemble du tableau et comprendre les intérêts en jeu permet de dépasser les réponses émotionnelles ou alarmistes, et in fine d’être un peu rassuré quant à l’éventualité d’une "guerre nucléaire", très peu probable.

Presque tous les médias s’accordent pour annoncer que la Corée du Nord déclare la guerre aux Etats-Unis. Or, aussi "apocalyptique" qu’en soit la rhétorique, les déclarations de la Corée du Nord ont toutes un caractère défensif. Ce n’est pas "nous voulons la guerre", c’est "nous sommes prêts à la guerre". Kim Jong-eun est un jeune dirigeant qui n’a encore rien prouvé et qui n’est encore pour la population nord-coréenne que le fils de Kim Jong-il, ou plutôt le petit-fils de Kim Il-song. Les événements actuels sont donc instrumentalisés pour catalyser la ferveur nationale, et rassembler la population autour de son "cher Leader", qui tient tête au monde entier. Il s’agit donc d’une stratégie de communication qui vise en fait plus à rassembler la population nord-coréenne qu’à menacer la communauté internationale.

Les Etats-Unis et la Corée du Sud, quant à eux, ne sont pas si neutres dans l’escalade des tensions. Tout d’abord, les manœuvres conjointes américano-sud-coréenne à grande échelle, qui mobilisent chaque année près de 200 000 militaires ne contribuent en rien à l’apaisement des tensions. Ces manœuvres sont perçues comme une provocation par la Corée du Nord, et les stratèges du Pentagone le savent très bien. Par ailleurs, cette période de crise est le moment qu’a choisi Washington pour faire voler des bombardiers B52 et B2 au-dessus du territoire sud-coréen il y a quelques semaines.

Pourquoi s’étonner après que la Corée du Nord se dise prête à la guerre? Pourquoi s’étonner que le feu s’allume après l’avoir attisé? Tout cela fait, en réalité, partie d’un plan stratégique américain, le plan "playbook" révélé par le Wall Street Journal le 3 avril dernier. Un plan qui prévoit de répondre à toute provocation de la Corée du Nord, de surenchérir le cas échéant, et d’alimenter un climat de tension qui ferait plier Pyongyang. Surenchérir pour que le bluffeur se couche, on est en pleine partie de poker. Cependant, le bluffeur ne s’est pas couché, les stratèges de Washington se sont trompés, Kim Jong-eun est un coriace. Les Américains décident alors de temporiser et de calmer le jeu.

Les intérêts de Washington et de Séoul

La question vient alors de savoir quels sont les intérêts de Washington et de Séoul dans cette partie de poker. Pour Washington, la menace nord-coréenne permet de justifier une présence militaire au Japon et en Corée du Sud en constante augmentation. Cette augmentation des effectifs militaires en Asie entre dans le cadre du redéploiement général des forces armées américaines stationnées à l’étranger, principalement en Irak, pour les rapprocher de la Chine. Les Etats-Unis se servent donc de la Corée du Nord pour mieux surveiller la Chine.

Quant à Séoul, la menace nord-coréenne a toujours servi de prétexte aux conservateurs pour légitimer leur ligne politique, le "vent du nord" permet de faciliter l’orientation des dépenses publiques vers la sécurité nationale plutôt que vers la sécurité sociale, une sécurité sociale dont les Sud-coréens auraient pourtant bien besoin. La nouvelle présidente Park Geun-hye, malgré sa rhétorique de dialogue avec le nord, n’échappe pas, dans les faits, à ce schéma de confrontation nord-sud qui caractérise la ligne conservatrice sud-coréenne depuis des années.

Tout devient donc un peu plus clair et un peu moins alarmant. Ce n’est plus un fou à lier qui menace le monde entier d’une guerre nucléaire. C’est d’un côté, Kim Jong-eun se servant des médias pour se donner une importance qu’il n’a pas, et de l’autre les Etats-Unis et la Corée du Sud instrumentalisant la menace nord-coréenne à des fins politiques. Et dans cette perspective, une guerre ouverte est très peu probable.

Christophe Bastin, professeur de français à l’Université de Gwangju

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